Florac, au croisement des chemins : histoire d’un carrefour cévenol stratégique

22/05/2025

Un territoire au centre d’un relief exceptionnel

Quand on regarde une carte, Florac n’est pas centrale au sens classique du terme, mais sa position intrigue immédiatement. À la frontière du Mont Lozère, du Causse Méjean, de la vallée du Tarn et des crêtes cévenoles, la petite ville occupe le cœur d’une étoile géographique. Entre vallées profondes, causse calcaire et forêts interminables, Florac se situe au point de jonction de paysages contrastés : une position privilégiée qui, dès les origines, a attiré hommes, bétail, marchands et stratèges.

La vallée du Tarnon la traverse du sud au nord, offrant une voie naturelle qui contourne les écueils des hauts plateaux tout en reliant les basses Cévennes et le bassin du Tarn en direction du fleuve. Ce rôle de passage n’est pas anodin : il explique en partie la structuration du bourg, coincé entre les gorges et les reliefs, mais ouvert sur tant de directions possibles.

  • Altitude de Florac : 542 m
  • Point de rencontre de trois Grands Sites nationaux : Parc National des Cévennes, Grands Causses, Gorges du Tarn
  • Carrefour historique de transhumance entre Mont Lozère et plaines du bas Languedoc

Aux origines : du gué gallo-romain à la “porta cévenole”

Florac s’est formée sur d’anciens itinéraires déjà fréquentés à l’époque protohistorique, comme en témoignent les dolmens et menhirs alentours (source : Base POP, Ministère de la Culture). Sa situation au pied du causse, à proximité de passages aisés sur le Tarnon et le Tarn, favorise l’installation d’un gué, puis d’un premier regroupement d’habitats à l’époque romaine.

La voie romaine dite “voie des Cévennes” reliait alors Nîmes à Javols, capitale du peuple gabale. Elle traverse la région floracoise, empruntant sans doute le tracé du futur “chemin de Régordane”, célèbre itinéraire médiéval de marchands, pèlerins et voyageurs (source : , Collectif, Editions du Chassel, 2004).

Dès le Moyen Âge, Florac s’impose comme un “portail” entre deux mondes : le haut pays minéral des Causses et du Mont Lozère, le piémont cévenol, plus ouvert sur les plaines méditerranéennes et les grandes routes du sud.

Montagnes, foires et passages : l’âge d’or commercial de Florac

Du XII au XVIII siècle, Florac concentre une activité artisanale, commerciale et pastorale intense, en lien avec sa position stratégique. Plusieurs atouts géographiques entrent en synergie :

  • Proximité immédiate de la draille principale de transhumance menant vers le Mont Lozère
  • Présence d’eau (sources, rivières) alimentant tanneries, moulins et teintureries
  • Diminution relative des risques d’inondation, grâce à la localisation sur une terrasse alluviale
  • Organisations régulières de foires et marchés, répertoriées dès le XIII siècle

L’activité drapière s’y développe très tôt, soutenue par la culture du chanvre et du lin mais aussi par l’élevage ovin, abondant sur les causses. Au XVII siècle, pas moins de six foires annuelles sont recensées à Florac, rassemblant producteurs, éleveurs, colporteurs et acheteurs jusqu’aux villes de la plaine (source : Archives départementales de la Lozère, série E).

À la croisée des chemins, la ville devient aussi étape majeure pour le sel, le vin, le blé, les cuirs venus de la Méditerranée ou du Rouergue. Sa “rue droite” — toujours visible — marquait l'axe principal de circulation est-ouest, reprenant l’héritage antique.

Carrefour religieux et foyer de résistances

Le XVI siècle introduit une nouvelle dimension stratégique : Florac, bastion du protestantisme cévenol, devient un point de concentration lors des guerres de Religion. Son château change de main, la ville s’urbanise rapidement, de nouveaux quartiers gagnent la rive sud du Tarnon.

Le rôle de Florac s’affirme durant la Guerre des Camisards (1702-1704) : sa position centrale laisse affluer réfugiés et combattants, tandis qu’elle relie par de petites routes les principaux foyers de la révolte. Florac n’a jamais été gravement détruite — contrairement à d’autres cités cévenoles — mais conserve aujourd’hui, par ses archives et sa mémoire, la trace de cette agitation religieuse et sociale (source : Musée du Désert, Mialet).

  • Ville souvent assiégée mais rarement soumise par la force
  • Lieu de passage entre les hameaux protestants des vallées profondes
  • Nombreux “refuges” et maisons de rassemblement recensés à la fin du XVII siècle

Une modernité à son rythme : routes, chemins de fer et voitures

La Révolution française replace Florac au centre du nouveau département de la Lozère, dont elle devient chef-lieu d’arrondissement en 1800. Ce statut administratif fait de la ville un carrefour de flux d’informations, d’échanges et d’usagers du territoire.

Florac bénéficie alors d'une “ère des routes” : ouverture de la route impériale 106 (Nîmes – Saint-Flour) au XIX siècle, percement de la route du Causse Méjean (D16), développement de la voie vers Sainte-Enimie et les Gorges du Tarn. Les correspondances postales, les diligences puis les véhicules à moteur convergent vers la place de la Mairie et l’avenue principale.

Si le chemin de fer a longtemps frôlé Florac sans jamais l’atteindre (la ligne du “Translozérien” s’arrête à Sainte-Cécile-d’Andorge, à 39 km), cette relative mise à l’écart a aussi favorisé la préservation du paysage et le maintien d’une vie locale indépendante, parfois moins soumise aux aléas des grandes villes.

Florac, carrefour de nature et de tourisme moderne

La vocation de carrefour stratégique s’exprime aujourd’hui dans d’autres domaines : la transition s’est faite vers une position de “porte d’entrée” du Parc national des Cévennes (créé en 1970), et de pôle d’accueil pour touristes, chercheurs et randonneurs.

  • 49 000 visiteurs/an (moyenne Ville de Florac–Sainte-Enimie, source : Office de tourisme 2019) – dont près de la moitié pour des séjours “randonnée”
  • Départ de : GR 70 (chemin de Stevenson), sentier du Causse Méjean, GR 67 (Tour des Cévennes), voie verte vers les Gorges du Tarn
  • Siège du Parc National des Cévennes — administration, maison du parc, centre d’éducation à l’environnement
  • Pôle de formation naturaliste et d’accueil associatif (Centre d’éducation à l’environnement, CPIE Lozère)

Grâce à son réseau de routes départementales (D907bis, D998, D16, D31…), Florac demeure l’un des nœuds routiers majeurs entre Aubrac, Causses et Lozère méridionale. Son marché du jeudi, l’un des plus vivants du département, attire producteurs, touristes et curieux, renouant ainsi avec la tradition du “carrefour vivant” cerné de montagnes.

Des traces d’histoire visibles à qui regarde

Marcher à Florac, c’est lire dans la pierre les strates de son histoire de carrefour :

  • La Place de la Mairie : ancienne place de marché médiéval, cœur du réseau des foires
  • Le château de Florac : forteresse reconstruite à l’arrivée des protestants, puis transformée en prison, devenu aujourd’hui siège administratif du Parc national
  • Le quartier du Barriot : trace du vieux bourg commerçant, avec ses passages couverts et maisons de marchands
  • Les ponts du Tarnon : jalons de l’habitat, révélant l’importance des gués anciens

À proximité, la draille de transhumance franchit toujours le seuil du col de Pierre Plate, utilisée de nos jours lors de la fête de la transhumance, rappelant combien Florac fut — et demeure — un lien entre les terres hautes et les plaines.»

Une identité toujours en mouvement

Le carrefour floracois n’a rien du lieu figé. Il continue aujourd’hui de se réinventer : nouvelles migrations rurales, accueil de jeunes entrepreneurs, reconquête d’une agriculture de montagne, circuits courts, festivals culturels et rencontres associatives. La ville a réussi à transformer ses atouts géographiques en valeurs humaines partagées — hospitalité, ouverture et attachement au paysage.

Dans un environnement de plus en plus mobile et numérique, Florac capitalise sur sa double nature : authentique porte des Cévennes et passerelle vers d’autres horizons. Pour qui sait lever les yeux, chaque pierre, sentier ou place de marché y raconte l’histoire d’un territoire où l’on est, depuis toujours, de passage… et parfois, où l’on décide de rester.