Aux origines du Parc national des Cévennes : racines et révolutions d’un territoire vivant

12/06/2025

Une histoire humaine et naturelle entrouverte sur la Lozère

Au cœur du Massif central, là où la montagne s’entremêle à des vallées secrètes, le Parc national des Cévennes s’inscrit dans une longue histoire de résistances, de solidarités et de paysages façonnés par l’homme autant que par la nature. Son existence même, rareté dans le monde des parcs nationaux Français, témoigne d’un équilibre tissé au fil du temps entre préservation et vie locale, nature et cultures. Et à cette histoire, Florac n’est jamais loin : place forte de la Lozère, vigie de la vallée, la petite ville en a été un pivôt inattendu.

Un Parc national pas comme les autres : racines et spécificités

  • Fondation : Créé officiellement par décret le 2 septembre 1970, le Parc national des Cévennes est le seul parc national français, avec la Guadeloupe, à abriter une population humaine permanente importante dans son cœur (plus de 3 300 habitants en 2020, source PnCevennes.fr). Cette cohabitation, inscrite dans sa charte, oblige à une approche singulièrement respectueuse des traditions agricoles, pastorales et forestières locales.
  • Localisation et étendue : Il couvre 913 km² (cœur et aire d’adhésion), sur trois départements (Lozère, Gard, Ardèche), six vallées principales et une mosaïque de paysages : causses, schistes, granites, gorges, plateaux.
  • Classé à l’UNESCO : Depuis 2011, son patrimoine agropastoral est inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité sous l’intitulé « Paysage culturel de l’agropastoralisme méditerranéen : Les Causses et les Cévennes », valorisant ainsi des pratiques ancestrales de gestion de la terre et du troupeau.
  • Une identité locale farouche : Plus qu’un parc figé, il est un “territoire de projets”, où 120 communes participent à la vie du parc, dont 50 sont situées dans sa zone cœur.

Aux sources : de la résistance huguenote à la naissance d’un parc protégé

Les Cévennes se sont forgé une histoire particulière, où la lutte pour la liberté et le maintien de modes de vie singuliers ont laissé des traces profondes. Bien avant de devenir parc national, cette région porte en elle l’héritage des camisards, ces protestants cévenols qui, dès 1702, se dressèrent contre la persécution religieuse. Le parc ne célèbre pas seulement la nature, il incarne la mémoire d’une humanité insoumise : le temple du Bougès, la forteresse du Pont-de-Montvert, ou encore les chemins de transhumance autrefois surveillés par les soldats du roi.

Au XXe siècle, l’idée même d’un parc national suscite à la fois fascination et suspicion. Les exploitants et habitants craignent d’être dépossédés de leur territoire, tandis que les naturalistes voient ici une réserve de biodiversité exceptionnelle. Après des décennies de négociations associant élus locaux, syndicats agricoles, et pouvoirs publics, c’est un modèle hybride qui s’impose : préserver, mais avec et pour les habitants.

Florac, cœur battant du parc : de la sous-préfecture à la “capitale” du territoire protégé

Située à la confluence des Gorges du Tarn, du Mont Lozère et de la vallée du Tarnon, Florac occupe une place emblématique au sein du parc. Dès 1970, c’est dans cette bourgade de moins de 2 000 habitants que s’installe le siège administratif du parc national, dans le château de Florac, ancien palais du XVIIIe siècle. Ce choix n’est pas anodin :

  • Un ancrage géographique : Florac se trouve exactement au carrefour de plusieurs vallées majeures et au point de rencontre naturel entre Causses et Cévennes. Son accessibilité en fait le “point d’entrée” privilégié du parc.
  • Un rôle moteur dans la sensibilisation : Le château accueille le centre d’information du parc, expositions, conférences, et constitue un laboratoire d’expérimentations pour l'écotourisme et les alternatives rurales.
  • Un symbole de dialogue : C’est à Florac que se déroulent les principales concertations entre acteurs locaux, éleveurs, élus, visiteurs et naturalistes. La ville fait l’objet de partenariats réguliers avec l’Office de tourisme et les associations culturelles locales.

Chiffres clés et enjeux contemporains

Le Parc national des Cévennes se distingue chaque année par quelques données marquantes :

  • Patrimoine remarquable : 2 400 espèces animales inventoriées, dont plus de 200 espèces d’oiseaux et 2 espèces de vautours réintroduites avec succès (le vautour fauve dès 1981, le vautour moine dans les années 2000). (source : Parc national des Cévennes)
  • Espaces boisés robustes : Plus de 60 % de la surface est couverte de forêts, ce qui en fait l’un des parcs nationaux boisés les plus étendus de France, un atout longtemps sous-estimé.
  • Population permanente : Environ 68 000 personnes vivent dans la zone d’adhésion du parc, principalement des agriculteurs, éleveurs, artisans, et acteurs de l’écotourisme – là où la vie continue au quotidien, à rebours de l’image de “sanctuaire vide”.
  • Visiteurs : Entre 800 000 et 900 000 visiteurs sont accueillis chaque année, dont près d’un quart viennent de l’étranger.
  • Essor de la randonnée : Plus de 5 000 kilomètres de sentiers balisés irriguent le territoire, dont plusieurs portions du légendaire chemin de Stevenson (GR70).

Parc et habitants : des alliances fragiles mais créatives

Le statut du parc – avec la coexistence d’une population permanente importante – a généré une dynamique unique en France : ici, les agriculteurs sont, en quelque sorte, les gardiens du paysage. Les éleveurs participent activement à la conservation des espaces ouverts (prairies de fauche, landes), essentiels à la biodiversité, notamment grâce à la transhumance ovine.

De nombreux dispositifs de soutien existent :

  • Contrats agricoles et Forestiers écologiques : Ces mesures financières aident les exploitants à maintenir des pratiques respectueuses, comme la restauration des drailles (chemins de troupeaux), la préservation des murets de pierres sèches, et la valorisation des savoir-faire locaux.
  • Réhabilitation du bâti traditionnel : Près de 1 000 restaurations soutenues depuis 1980 (toitures en lauze, clèdes à châtaigne), selon les chiffres du Parc.

Petit à petit, ces initiatives contribuent à fidéliser une population rurale qui, dans d’autres massifs français, a souvent déserté depuis plusieurs décennies. Ce sont aussi des atouts majeurs pour un tourisme à visage humain, dont Florac est l’une des vitrines discrètes et efficaces.

Florac, trait d’union entre mémoire et modernité

Les liens entre Florac et le parc national ne se résument pas à la simple présence de ses bureaux : la ville s’enracine dans la vitalité des échanges instaurés depuis 50 ans :

  1. Des festivals et événements engagés : Fête de la transhumance, Fête du parc, Rencontres Naturalistes : autant d’occasions d’accès public à la découverte des métiers, traditions, innovations rurales.
  2. Un laboratoire de l’écotourisme : Projets de mobilités douces, accueil du public à mobilité réduite, développement d’hébergements labellisés “Esprit Parc National” pour les voyageurs en quête d’authenticité.
  3. Education à l’environnement : Près de 120 classes de Lozère visitent chaque année le centre d’interprétation du Parc à Florac, bénéficiant d’animations sur la faune locale, l’eau, le patrimoine bâti.
  4. Espaces de dialogue : Groupes de concertation sur le loup, les énergies renouvelables, les feux de forêts, mêlant techniciens, agriculteurs, élus et habitants.

Entre nature, résilience et culture locale : un futur à inventer

L’histoire du Parc national des Cévennes, intimement liée à Florac, illustre une manière unique de conjuguer préservation et vitalité rurale. Le territoire ne cesse de réinventer sa façon d’habiter la nature, de transmettre des savoirs, d’accueillir ceux qui cherchent le calme autant que de veiller au fragile équilibre d’un patrimoine vivant. À Florac, chaque ruelle, chaque marché hebdomadaire, chaque pierre du château rappelle que le parc n’est pas seulement une réserve : il est une aventure humaine quotidienne, faite d’adaptations, de débats, de passions, et d’ouvertures nouvelles pour les générations futures.

Pour celles et ceux qui souhaitent explorer ce rapport d'humanité à la nature, un passage à Florac est bien plus qu’une halte : c’est une immersion dans le laboratoire vivant d’un avenir commun entre l’homme et son territoire.

Pour aller plus loin :