Les Cévennes, territoire vivant inscrit à l’UNESCO : ce que révèle ce classement d’exception

26/09/2025

Quand les Cévennes rejoignent le cercle des sites UNESCO : retour sur une reconnaissance internationale

La Lozère évoque souvent le silence des grands espaces, les vallées profondes abritées par les causses, les drailles bordées de murets et la lumière crue sur les crêtes. Pourtant, en 2011, c’est tout un arc de montagnes et de vallées – le massif des Cévennes, son parc national, ses causses et ses plateaux – qui intègre le patrimoine mondial de l’UNESCO sous la désignation « Les Causses et les Cévennes, paysage culturel de l’agro-pastoralisme méditerranéen » (UNESCO).

Ce classement n’est pas simplement honorifique : il atteste d’une valeur universelle exceptionnelle. Mais pourquoi ce territoire a-t-il reçu une telle reconnaissance ? Que raconte, au juste, cette inscription sur l’agro-pastoralisme et le lien humain ? Le sujet, à la croisée de l’histoire, de la nature, des traditions et des paysages, mérite qu’on s’y penche avec attention, loin des clichés et des généralités.

L’agro-pastoralisme : l’âme d’un paysage façonné par l’homme et la nature

Ce qui frappe, en Cévennes, c’est la main discrète mais tenace de l’humain dans le paysage. Depuis plus de 3 000 ans, bergers, paysans et familles ont modelé la montagne par la pratique de l’agro-pastoralisme, c’est-à-dire l’élevage extensif combiné à l’agriculture. L’UNESCO a salué dans les Cévennes et sur les Causses « un exemple vivant, bien préservé et exceptionnel d’organisation agraire méditerranéenne ».

  • Murets en pierre sèche : sur des milliers de kilomètres, ils dessinent les parcelles, retiennent la terre, témoignent du génie rural local.
  • Terrasses : construites à flanc de montagne, elles permettent de cultiver la vigne, l’oignon doux ou le seigle malgré la pente.
  • La transhumance : rituelle, festive, elle rythme encore la vie du territoire, avec près de 70 000 brebis qui montent chaque été sur les pâturages d’altitude.

La singularité vient de la continuité de ces usages, jamais interrompus depuis le Néolithique. Il ne s’agit pas d’un paysage muséifié, mais d’un territoire où l’activité pastorale reste vivante, économique et culturelle (source : Parc national des Cévennes).

Un « paysage culturel » reconnu pour sa valeur universelle

L’UNESCO classe des sites au titre de leur « valeur universelle exceptionnelle ». Pour les Cévennes, deux critères clés ont été mis en avant :

  1. Critère III : Le site porte un témoignage exceptionnel sur la tradition pastorale méditerranéenne et ses adaptations aux contraintes naturelles. Cette transmission continue d’un mode de vie rural permet d’y lire les évolutions de la société paysanne d’Europe méridionale.
  2. Critère V : Le paysage illustre un exemple éminent d’interaction entre l’homme et l’environnement, fruit d’une longue cohabitation avec des sols pauvres, un climat rude (gelées, sécheresse) et une topographie difficile.

Contrairement à une réserve « vierge », la richesse locale réside dans l’équilibre entre l’activité humaine et la biodiversité : la mosaïque des pelouses rases, des garrigues, des forêts, mais aussi des granges, lavognes (abreuvoirs traditionnels pour moutons) et fermes fortifiées remarquablement conservées.

Un patrimoine naturel d’exception préservé par la main de l’homme

On imagine parfois le parc comme un sanctuaire naturel isolé. Or, c’est tout l’inverse : la biodiversité locale dépend pour une large part des pratiques agro-pastorales.

Quelques chiffres parlent d’eux-mêmes :

  • Plus de 2 300 espèces de plantes recensées dans le parc (soit environ 40 % de la flore française) (source : Parc national des Cévennes).
  • Près de 2 400 espèces animales (mammifères, oiseaux, reptiles…).
  • 14 espèces de chauves-souris dont la rarissime Barbastelle ou le Minioptère de Schreibers (source : ONF).
  • Des rapaces emblématiques : le Percnoptère d’Égypte, le Vautour fauve, le Balbuzard pêcheur réintroduit dans les gorges du Tarn.

La préservation de ces espèces dépend du maintien des prairies, de l’ouverture des milieux, de la transhumance et du pastoralisme. Sans moutons, sans brûlis maîtrisés ou fauche tardive, nombre de milieux fermenteraient, les oiseaux prairiaux disparaîtraient, l’équilibre se romprait.

Un territoire d’histoires humaines et d’engagements séculaires

Les Cévennes ne se résument ni à un havre sauvage ni à une conservation figée. Leur histoire tumultueuse a façonné leur âme :

  • Les Camisards : guerre des protestants au début du XVIIIe siècle, cachés dans les châtaigneraies et les schistes.
  • L’exil et l’émigration : au XIXe siècle, la misère pousse nombre de cévenols sur les routes, mais d’autres restent, adaptent, innovent.
  • Le retour de l’agro-pastoralisme : dans les années 1970 et 1980, de jeunes agriculteurs, souvent « néo-ruraux », relancent la culture biologique, la laine, le fromage et la production de châtaignes.

Ce sont ces histoires, cette capacité à se réinventer sans renier la terre, qui ont aussi contribué à l’inscription à l’UNESCO.

Pourquoi un site UNESCO change-t-il le regard sur le territoire ?

L’inscription ne fige en rien le territoire. Elle lui donne, au contraire, une visibilité nouvelle, attire la curiosité, motive la recherche scientifique, encourage des engagements pour la transmission des savoir-faire.

  • Préservation des paysages : la charte du parc renforce la protection des murets, des drailles, des capitales (abris-vacheries), tout en soutenant les agriculteurs.
  • Développement local et tourisme durable : l’offre de séjours, de stages ruraux, de balades thématiques explose. Le territoire accueille plus de 800 000 visiteurs chaque année (source : Office de Tourisme Mont Lozère, 2023).
  • Éducation et médiation : des programmes scolaires, du crieur public aux concerts de cloches à brebis, transmettent la singularité cévenole.

Des menaces existent – déprise agricole, changement climatique, afflux touristique mal maîtrisé – mais le label UNESCO est aussi un outil d’alerte et de dialogue.

Cévennes : terres d’innovation entre nature, avenir et savoir-faire

Aujourd’hui, loin de « l’image d’Épinal » du pays reculé, les Cévennes sont une terre d’expérimentation : circuits courts, chantiers participatifs de réhabilitation de murets, accueil de jeunes éleveurs, développement du tourisme à pied, à vélo ou en itinérance douce (plus de 5 000 km de sentiers balisés sur le territoire UNESCO).

  • Le Parc national des Cévennes est le seul parc national français habité sur toute sa zone centrale : 68 communes concernées, près de 60 000 habitants impliqués dans la gestion (source : infos officielles Parc national).
  • Des acteurs mobilisés : CIVAM, syndicats de producteurs de fromage, de miel ou d’oignon doux, association « La Main sur la Pierre » pour sauvegarder la pierre sèche.
  • Des patrimoines labellisés : la culture du châtaignier (reconnue « patrimoine culturel immatériel national »), les fêtes de transhumance (avec plus de 10 000 participants chaque année sur l’ensemble du territoire), des circuits comme le fameux Chemin de Stevenson (GR70), devenu emblématique du tourisme d’aventure raisonné.

Inscription UNESCO : ouvrir l’avenir en préservant un « territoire vivant »

Être inscrit à l’UNESCO n’est pas un état, mais un processus. Cela impose responsabilité, vigilance et dynamisme. Les Cévennes et leurs causses ne sont pas seulement une page d’histoire : ils offrent un laboratoire vivant où s’inventent, au XXIe siècle, de nouvelles façons de vivre, de produire et d’habiter la montagne.

De la randonnée d’altitude au marché paysan, en passant par la restauration d’un muret ou le partage d’une soupe de lentilles du Puy, celui ou celle qui voyage ici découvre qu’un patrimoine reconnu mondialement vit d’abord au quotidien, dans le dialogue entre l’homme et la nature. Ni sanctuaire fermé, ni parc d’attractions figé : une invitation, chaque jour renouvelée, à trouver sa place dans ce paysage partagé.

Sources utilisées :